Préparant une étude sur les effets cognitifs du , j'ai lu toute la littérature scientifique sur la question, peu ou prou... Et je constate un double paradoxe :
- un certain nombre d'études ont été réalisées (disons environ une trentaine, chacune avec entre 1 et 5 expériences) pour tester empiriquement ces effets. Et *TOUTES* convergent pour dire que le masculin générique n'est pas neutre, cognitivement parlant. Comment est-il possible d'entendre encore certaines personnes défendre l'inverse ?
- A l'inverse, pour un sujet de société comme celui-ci, une trentaine d'études en 20 ans ça ne semble pas énorme... Là encore il ne semble pas que l'ampleur du débat motive les politiques à aller chercher une réponse empirique à la question (ce qui supposerait par exemple de financer un projet/groupe de recherche dédié, plutôt que de se fier aux homélies réac de l')
@psycholinguistics @linguistics

Du coup, c'est parti pour un petit thread sur , et représentations de genre !
Pour commencer, comme je le mentionnais précédemment (qoto.org/@leovarnet/1103603398), les personnes interrogées citent ~3 fois plus de femmes comme ministre d'un prochain gouvernement lorsqu'on formule la question en utilisant une tournure double ("citez tous les candidats/candidates") plutôt que le masculin générique ("citez tous les candidats"). On retrouve le même effet quand on demande les noms de leurs héros préférés, ou ceux de leurs artistes préférés. Ces expériences ont été reproduites en allemand et en français. (1/X)
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Il existe également plusieurs études portant sur l'estimation du ratio femme/homme dans un groupe. Si le groupe est décrit en utilisant le (p.ex. "des musiciens"), ce ratio est systématiquement en la défaveur des femmes. On peut retrouver des représentations équilibrées en utilisant le (forme double "musiciens et musiciennes" ou forme contractée "musicien.ne.s"). Cet effet est indépendant des , bien que ceux-ci jouent naturellement aussi un rôle dans les biais des représentations. (2/X) @psycholinguistics @linguistics

Autres résultats importants à garder à l'esprit pour le débat sur l' : l'usage du dans un questionnaire affecte l'autoévaluation par les répondantes de leur efficacité (Vainapel et al., 2015), les annonces d'emploi rédigées en écriture inclusive aident à considérer la candidature de femmes, en particulier dans les métiers stéréotypés masculins (Vervecken et al. 2015) et, de même, le masculin générique influence le genre de la personne à laquelle les gens pensent quand on leur demande d’imaginer un profil prototypique d’un groupe professionnel donné (Brauer & Landry 2008). (3/X) @psycholinguistics @linguistics
pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/259846

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A propos, comment le biais du interagit-il avec l'effet des de genre ? La littérature scientifique est partagée sur le sujet. Mais j'aime bien cette étude de Gygax et al. (2008) qui compare l'effet des stéréotypes dans une langue avec peu de genre grammatical, l'anglais, et deux langues avec un masculin générique marqué, le français et l'allemand. Résultats : en anglais ce sont les stéréotypes qui guident les représentations (p.ex. "the nurses" évoque spontanément des femmes, car c'est un métier stéréotypé féminin). En revanche en français c'est le biais du masculin qui l'emporte : "les infirmiers" évoque un groupe d'homme, alors que le groupe pourrait être composé majoritairement de femmes. (4/X) tandfonline.com/doi/abs/10.108 @psycholinguistics @linguistics

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@psycholinguistics @linguistics Tibblin et collègues (2022) ont proposé récemment une nomenclature pour clarifier les relations entre les différents types d' (t.co/4TL1bQ7hNp). On distingue deux grandes stratégies: d'une part la re-féminisation qui consiste à présenter les formes masculines ET féminines ("les musiciens et les musiciennes", "les musicien.ne.s", ...) et la neutralisation qui consiste à remplacer les termes genrés par des mots épicènes ("les instrumentistes"), des noms collectifs ("l'orchestre"), ou des noms génériques ("les personnes jouant de la musique") (5/X)
@psycholinguistics @linguistics

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Finalement, il reste une question : est-ce que toutes les formes d' sont aussi efficaces pour lutter contre le biais masculin ? Il y a encore peu d'études sur le sujet, mais il semblerait globalement que non : de façon surprenante, les formes neutres (p.ex. "l'architecte" qui peut désigner un homme ou une femme) engendrent elles aussi un biais masculin (Lindqvist et al. 2019) et les langues sans genre grammatical comme le et le ne sont pas non plus immunisées contre ce biais (Renström et al 2022, merci @elmerot de m'avoir pointé cet article). Si l'on souhaite susciter des représentations homme/femme égalitaires, le meilleur outil est la forme double (par exemple "les chercheurs et les chercheuses" ou les chercheur·euse·s). Nous menons actuellement une étude pour étudier cet effet en français. (6/X) @psycholinguistics @linguistics

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@leovarnet @psycholinguistics @linguistics Mais il semble y avoir énormément de données extrêmes dans ces groupes. Je me demande quel mécanisme pourrait expliquer cela! (je n'ai pas encore lu l'article, au cas où c'est discuté)

@mcarondiotte @psycholinguistics @linguistics La difficulté de ces études est qu'elles doivent s'abstraire de l'effet des stéréotypes de genre associés au noms de métiers utilisés comme stimuli (stéréotypes qui jouent aussi sur le pourcentage estimé de femmes). Ici, les scientifiques ont présélectionné des stimuli "non-stéréotypés en moyenne" mais on peut imaginer que ce genre d'effet est susceptible de varier d'un individu à l'autre... Ce n'est que mon avis.

@leovarnet @psycholinguistics @linguistics Masculin neutre : écriture exclusive, couilles sur la table binge.audio/podcast/les-couill
1er épisode : avec les  psycholinguistes suisses Sandrine Zufferey et Pascal Gygax qui ont co-écrit avec Ute Gabriel l’ouvrage *Le cerveau pense-t-il au masculin ?* (éd. Le Robert, 2021)

@RichardMonvoisin @psycholinguistics @linguistics Oui, super épisode ! ...et j'étais ravi de voir ma discipline représentée dans Les Couilles Sur La Table !

@elmerot I didn't know this paper but it looks super relevant to my interests! Thank you!

@leovarnet
Reste la problématique des personnes qui ne souhaitent pas être associées à un genre, et que l'approche re-féminisation peut sembler exclure...

@elmerot @psycholinguistics @linguistics

Oui absolument ! J'ai bien précisé que c'est le meilleur outil pour susciter des représentations homme/femme égalitaires, mais il y a d'autres critères qui peuvent entrer en compte dans le choix d'une forme ou d'une autre. L'inclusion de la non-binarité me semble effectivement un argument très pertinent... mais c'est une question sur laquelle la psycholinguistique n'a à mon avis pas grand chose à dire. @jm_favreau @elmerot @psycholinguistics @linguistics

@leovarnet
Même si elle n'a pas grand chose à dire, elle peut observer les pratiques, et évaluer la compréhension qui en découle.

Par exemple, je trouve que le pronom « iel » répond en partie à cette problématique, en cela qu'il évite de genrer la personne désignée, même si l'accord qui suit n'a pas la même souplesse.

@elmerot @psycholinguistics @linguistics

De rien, @leovarnet !
Il serait très intéressant de faire une telle étude, mais je pense qu'il faudrais beaucoup de gens.
@psycholinguistics @linguistics

@elmerot Nous avons déjà collecté les données de 47+70 participants et participantes sur deux expériences. Les résultats concordent. Je vous tiendrai au courant de la publication de l'article si cela vous intéresse.

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